
“Cochon pendu !”
Je suis les jambes repliées sur la barre de bois transverse qui tiens la voile du bateau. Le sang me monte à la tête. Je vois les vagues se déverser vers le bas, l’écume me raffraichit le visage, et laisse un collier de perles qui viennet alourdir ma frange pendante vers l’eau.
“Cochon pendu !” - s’écria à nouveau ma petite soeur qui se penche contre la balustrade en me pointant du doigt. Un sourire traverse mes lèvres quand mes yeux croisent son regard pétillant.
D’un mouvement d’acrobate souple, mon corps me ramène sur le pont sans que je me rende compte des gestes précis que j’ai pourtant effectué.
Je reprends rapidement mes esprits et demande - “Dit moi, où est-ce qu’on va petite soeur ?” - “Ha. tu ne te rappelles plus de rien à nouveau ? On est en route pour l’Arche Célèste !”.
C’est mon paysage préféré. J’espère que je vais rester assez longtemps pour le voir ! Je me tourne, sautillant sur place avant de m’élancer vers la proue. Mes jambes débuttent leur séries de 5 enjambées : pied gauche sur l’accroche de l’ancre, impulsion, on évite la corde enroulée, baisse la tête pour laisser passer la voile, pied droite à la base du mas, une dernière foulée et …
NOIR
“Pourquoi tu fais la tête ?”. Ma tête entre les mains est balotté par le roullis. Il fait gros temps. Du bout de mes doigts, je sens un duvet prépubaire sur ma joue. L’épisode précédent a vraiment pas duré longtemps.
- “Je fais pas la tête, je suis juste dans mes pensées !”, finis-je par répondre. - “Bon et bien mange ton maquereau, tu es en pleine croissance.” Continue ma mère.
Je lève mes coudes de la table pour enfourner une bouchée. Mes yeux se promène sur les contours de notre cabine sérée où la radio et les sacs de provisions se font la guerre pour la place sur l’étagère. Les stocks sont pleins, on doit venir de toucher terre, J’aperçois un morceau de viande séchée qui sort d’un sac en toile de jutte, on vient de reppartir de la Grande Péninsule. De mémoire, tous les autres ports ne vendent que du poisson, ou sont simplement végétariens.
Ma mère et ma soeur mangent en silence leur ration journalière. Mes yeux se pose sur le tabouret vide à leur droite. Un élan de tristesse monte dans mon coeur.
“Dis-moi, où est-ce qu’on va petite soeur ?” demandais-je pour me changer les idées. “Le cap n’est pas sûr, maman hésite entre les Jardins du Soleil et la Lance du Crépuscule.”
Je hoche la tête et reprends mon repas. La soirée se déroule comme à l’habitué, en silence.
NOIR
Un jour d’été, sur la pointe des pieds, je regarde au dessus de la balustrade un banc de dauphins qui nage le long de la coque.
- “Dit-moi, où est-ce qu’on va petite soeur ?”
- “On va au Grand Maléstom” - Me réponds sa voix fluette, en buttant sur les mots.
NOIR
Papa nous surveille pendant notre session d’exercices de math, additions pour ma soeur, multiplication pour moi.
- “Dit-moi, où est-ce qu’on va petite soeur ?” Chuchotais-je dicretement.
- “Dans deux jours, nous serons au Pillier du Temps !”
Papa détourne les yeux de son livre, nous jette un regard distrait, puis s’y replonge.
NOIR
Je suis à quatre pâte sur le pont. Solidement emitouflé dans un body en laine. Je veux parler mais les mots ne viennent pas. Je veux marcher mais je n’arrive qu’à agiter mes petits membres chaotiquement. Je me concentre, me redresse, fait un pas. Lève la tête. Le visage radieu de mes parents, leur éclats de joie. Pas de petite soeur aux alentours.
NOIR
“Dit-moi, où est-ce qu’on va petite soeur ?”, “Aux Terres Froides !”
NOIR
“Dit-moi, où est-ce qu’on va petite soeur ?”, “Au pic de glace !”
NOIR
“Dit-moi, où est-ce qu’on va petite soeur ?”, “Aux dunes roses !”
NOIR
Terres Froides, Arches Célestre, ou Jardin du Soleil. Je ne les ai jamais vu. Ils n’existent que dans mes rêves. La vie se présente à moi dans le mauvais ordre. Et j’ai l’impression d’aller nulle part.
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